Il arrive le pas pressé, l’air soucieux et s’enquiert dès les premières minutes de l’état de santé des pouces de palétuviers disposés dans une vasque de l’Océanium, le centre de plongées et de préservation de l’environnement, dont il est toujours le président. Le ministre de l’écologie et de la protection de la nature du Sénégal, El Ali Haïdar, est un amoureux des arbres ! Son obsession se résume en quelques mots : planter un arbre, dix, des millions. Ce n’est pas une lubie, c’est déjà un programme politique.
Etrange ministre que celui-là qui annonce tout de go que son urgence est de stopper les feux de brousse et la destruction de la forêt. Qu’on ne s’y trompe pas, El Ali Haïdar est un utopiste virulent et combatif qui, en homme de terrain, se bat depuis des décennies pour protéger l’environnement du Sénégal. Avec Océanium, il a réussi à planter plus de 100 millions de palétuviers dans le Sine Saloum et la Casamance, commençant à inverser le déclin de la mangrove. Il a appris des scientifiques, mais aussi des habitants des zones côtières. Il a écouté, cherché les solutions et surtout mesuré l’importance de la mangrove dans la lutte contre la montée des océans et la salinisation des terres agricoles. Il a aussi compris que si la mangrove disparaissait, la vie marine s’éteindrait, ne disposant plus de la pouponnière vitale pour nombre d’espèces halieutiques.
Un enfant timide et proche de la nature
Même s’il arbore le costume et la cravate lors des rencontres ministérielles ou des conférences internationales, El Ali Haïdar n’a pas oublié qu’il a longtemps porté la combinaison de plongée pour filmer les dégâts de la pêche à l’explosif ou les filets dérivants meurtriers.
Son histoire est « magique et formidable », comme il se plait à le dire. Ses parents quittent le Liban, pour chercher l’El Dorado nord américain, mais par un étrange destin, ils atterrissent sur les côtes sénégalaises : « ma mère se demanda si tous les américains étaient noirs », s’amuse le ministre. Toujours avec humour, El Ali Haïdar s’imagine en « golden boy » à Wall Street : « quelle chance j’ai eu que mes parents aient atterri finalement en Afrique. J’ai l’impression que dans le monde, soi-disant développé, la seule place que l’on ait est celle du consommateur. Là-bas, on croit que « time is money », alors qu’en fait « time is life ».» Un ministre philosophe, pourquoi pas ?
Né à Louga, petite ville entre Dakar et Saint-Louis, il grandit dans les quartiers populaires, loin du quartier libanais, plus cossu. « Nous «étions les seuls blancs dans la médina », se souvient-il. Enfant, il était d’une timidité maladive et passait le plus clair de son temps dans la nature : « je devais avoir 15 ans, je suis allé en brousse sans prévenir personne. J’y suis resté près de deux semaines. Mes parents me croyaient mort. J’étais bien dans la nature… » Un rapport avec la nature presque fusionnel. « Il faut être curieux de la nature, de l’autre. C’est ça l’essentiel. Aujourd’hui, à 58 ans, je peux arrêter ma voiture pour observer une fleur, une colonie de fourmis : je suis naturellement curieux », conclut-il.
L’urgence : arrêter les feux de brousse
Alors, le ministre militant, l’écologiste politique, président de la fédération des partis écologistes et verts d’Afrique de l’Ouest, s’appuie sur les réalités du terrain, sur les conflits existants dans les zones menacées pour conduire sa politique. Il parcourt tout le Sénégal pour convaincre et changer les comportements, pour lutter aussi contre les lobbies de la pêche industrielle ou des mines.
Sa priorité absolue reste la lutte contre les feux de brousse qui détruisent progressivement toute la forêt et entraîne l’avancée du désert de la zone sahélienne. « La forêt brûle chez moi. Elle brûle parce que le collecteur de miel quand il voit une ruche sauvage va d’abord couper l’arbre, ensuite il va allumer un feu qui va chasser les abeilles, il va collecter le miel, s’en aller, laissant l’arbre mort et la forêt brûler. La forêt brûle, parce qu’un chasseur braconnier, ou un responsable de campement qui souhaite que son client chasseur voit le gibier, va brûler la forêt. Donc l’urgence, c’est d’éteindre ces feux de brousse », déclare le ministre de l’écologie. Pour cela, il a l’intention de créer des « emplois verts », avec des « bourses vertes », afin de payer les jeunes et en faire ainsi les gardiens de la forêt.
Planter, toujours planter ! « Il faut faire naître dans l’esprit des Sénégalais l’envie de planter un arbre, car l’arbre c’est la vie. Si moi je plante 3000 arbres, j’ai mes limites. Alors que si je fais des autres des planteurs et que 12 millions de personnes plantent un, deux, trois arbres, ça fait 12 millions, 24 millions, 36 millions d’arbres. Et ainsi, tout le Sénégal reverdira », affirme le ministre des utopies écologiques.
« Participatif, applicable, reproductible »
El Ali Haïdar ne mâche pas ses mots quand il pointe les responsabilités, comme notamment celles de l’ancien chef de l’Etat, Abdoulaye Wade, qui a permis aux pêcheries étrangères de ratisser les fonds marins, qui a offert des concessions minières à des entreprises d’exploitation d’or, laissées libres de polluer et d’amasser des fortunes, sans aucune contribution pour le pays. Il porte aussi un regard critique sur la fonction politique : « Il ne faut pas que la fonction de ministre change l’homme jusqu’à ce qu’il ne se reconnaisse plus, sinon, il aura perdu sa foi, sa flamme. Il est important qu’on se fixe des objectifs et que ceux-ci nous engagent en tant qu’homme politique. Si on ne les atteint pas, on doit démissionner. La politique n’est pas une profession. En ce qui me concerne, c’est l’action écologique qui m’a donné une dimension politique. Je me sers aujourd’hui de la politique pour apporter au niveau national toute mon expérience écologique de terrain. Si je parviens à étendre toutes les actions que j’ai conduites depuis plus de trente ans au plan national, alors j’aurais rempli mon contrat », affirme l’homme politique.
L’ancien plongeur se considère avant tout comme un citoyen du monde. À chacune de ses actions, il applique une méthode simple qui se résume en trois mots : « Participatif, applicable et reproductible ». Conscient des difficultés économiques de son pays, il considère que les meilleures solutions ne sont jamais onéreuses, sans quoi elles n’ont aucune chance de se réaliser. Et si El Ali Haïdar a un rêve, « il se résume dans la vérité : que les gens soient vrais ; il se résume dans l’amour : que les gens s’aiment ». Mais El Ali Haïdar est d’abord un homme engagé et les termes de son engagement sont clairs : « J’ai des filles que j’aime et j’ai le choix : soit je leur transmets une éducation qui en fera des citoyennes responsables vis-à-vis de la planète, soit je ne fais rien. Mais franchement, j’ai plus envie d’œuvrer pour que les rues soient tapissées de fleurs, plutôt que de poubelles. J’ai plus envie de leur transmettre du beau que de la merde. Nous devons choisir. Soit on agit pour construire une planète saine, soit on opte pour l’inaction. Mais, ne nous y trompons pas, l’inaction nous conduit à la catastrophe ! »