Nous voici au 8ème festival international des littératures policières, Toulouse Polars du Sud, à la Librairie de la Renaissance. Pas moyen de se défiler, va falloir faire dans l’humour à rebondissement, dans l’intrigue drolatique avec chute énigmatique, vieille dame à chignon avec couteau mal affûté. Bon, pour tout vous dire, moi, je suis un peu dans la merde, parce qu’à part le Cluedo, question intrigue policière, j’y comprends rien…
Même avec les élections prochaines, je ne pourrais pas vous tenir longtemps en haleine, vous laisser croire qu’il va y avoir sur le trône impérial un mec ou une nana de la vraie gauche. Aucun suspense, tout est couru d’avance. Vous connaissez déjà les protagonistes. Autant lire un roman à l’eau de rose, au moins y aura du cuir et du désir. Après la messe quinquennale, celui ou celle qui arrivera en tête sera encore une fois un trou du cul, et pas besoin d’être proctologue pour trouver la sortie.
Moi, les seules enquêtes policières qui m’excitent les synapses sont celles où l’on peut dégommer du financier et de l’actionnaire, du manager et du petit gestionnaire. J’aime le cravaté ensanglanté, le chauffeur de Ferrari étripaillé, le patron de CAC 40 émasculé.
Tiens, pas plus tard que la semaine dernière, j’avais lancé mon plus fin limier sur les traces du tueur du chantier de Toulouse Montaudran Aérospace. Quatre meurtres sans mobile apparent. Les directions des boîtes où travaillaient les gars avaient décliné toute responsabilité : « le travail n’a rien à voir avec ces drames », avaient-elles ânonné en chœur. Et figurez-vous qu’elles se demandaient même si il n’y avait pas chez ces ouvriers refroidis quelques problèmes familiaux, juste une question de vie privée. C’est bien connu : quand on se zigouille, qu’on s’auto-élimine, quand on se suicide, c’est qu’on est un peu fragile. Rien à voir avec le travail, nom de Dieu !
Mamzelle Christèle – c’est mon enquêtrice de choc – ne se laissait pas abuser aussi facilement. L’œil vif et l’esprit alerte, elle savait mieux que quiconque ausculter les conditions de travail délétères, les méthodes managériales perverses, les systèmes de sous-traitance en cascade, les embauches précaires. Elle avait ses indics au cœur même des organisations et ne tremblait pas devant la morgue du premier DRH venu… D’ailleurs, le dernier à lui avoir résisté avait fini avec sa chemise en lambeau, la cravate à terre et la queue entre les jambes. On ne badine pas avec Mamzelle Christèle ! Et ne me dites pas que les types qui font ce sale boulot ne font qu’exécuter les ordres. Ils ont quand même choisi leur camp. Bon, évidemment, Mamzelle Christèle n’est pas dupe, elle sait bien que le coupable n’est jamais vraiment celui qui aboie le plus fort. Elle sait bien que le porte-flingue n’est qu’un lampion, que celui qui tire les ficelles n’a pas de visage, juste quelques actions ou quelques fonds de pension. Mais dessaper les sous-fifres, c’est déjà un bon début.
Quelques mois auparavant, je l’avais envoyée en terre inhospitalière. Elle s’était faufilée dans les méandres du grand hôpital toulousain pour chercher les causes profondes des suicides des soignants. Là encore, il fallait jouer serré, éplucher en douce les comptes de l’hôpital public, et découvrir avec stupeur que la part des budgets alloués aux salaires étaient passées en 10 ans de 70% à 55%. Mamzelle Christèle tenait le mobile : le fric ! Eh oui ! Depuis la réforme de l’hôpital souhaitée par la marionnette à talonnettes Sarko, le paiement à l’acte avait fait passer le soin dans le système concurrentiel.
Ainsi donc, l’arme du crime était bien plus sournoise qu’on ne pouvait l’imaginer. Les emprunts auprès des marchés financiers à des taux de 3 à 5% endettaient chaque jour davantage l’État. Alors celui-ci, dirigé par des socialos aux ordres des lobbyistes en tout genre, avait fini par se payer les services de tueurs à gage sans scrupule, élevés dans les grandes écoles de commerce et de management. Economies de personnel, rentabilité, cadences infernales, le client-patient pouvait toujours payer l’addition.
Mamzelle Christèle venait de découvrir un scénario à la France Télécom. Quelques années auparavant, un autre enquêteur acharné avait ouvert la voie. Marin Ledun n’imaginait pas à quel point son roman, Les visages écrasés, était prémonitoire. Pire, les suicides liés au travail n’étaient plus l’apanage de l’opérateur téléphonique historique. Désormais, la mort se propageait comme une traînée de poudre dans le BTP et l’hôpital.
Quelle sera la prochaine étape ? Jusqu’où le système néo-libéral poussera-t-il la folie meurtrière de ses méthodes ? Et les travailleurs dans tout ça, vont-ils continuer à courber l’échine ?